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« La gauche n’est pas woke » (Left Is Not Woke), de Susan Neiman, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Dutheil de La Rochère, Climats, 250 p., 22 €, numérique 15 €.
Etre de gauche, qu’est-ce au juste ? Depuis plusieurs générations, explique la philosophe américaine Susan Neiman, c’était adhérer intimement aux principes des Lumières. Trois convictions fondatrices les constituent. Universalisme : l’humanité est une, des idées et des valeurs communes peuvent la fédérer, par-delà tribus, genres, cultures et autres points de vue particuliers. Justice : peu à peu, égalité et dignité doivent entrer dans les faits, les idéaux de la morale et du droit ne sont pas vains, les jeux de pouvoir et de domination ne sont pas seuls maîtres du jeu. Progrès : la condition humaine peut s’améliorer, l’histoire se construit, le pire n’est pas fatal.
La gauche n’est pas woke, le nouvel essai de la philosophe, souligne combien, ces derniers temps, ce triple idéal se trouve délaissé. Il est même critiqué, vilipendé, accusé de tous les maux par la gauche « radicale woke ». L’universalisme des droits humains ne serait que le faux nez de la domination occidentale, écrasant la légitime diversité des points de vue, des ethnies et des genres. Le rêve de justice ne serait qu’un discours creux, masquant la réalité des rapports de force et la perpétuation des exclusions. Le progrès serait un leurre, un mirage inventé pour exploiter plus et mieux. Bref, les idéaux des Lumières ne seraient qu’illusion néfaste et piège à déconstruire. Il faudrait non seulement les abandonner, mais les dénoncer et les combattre sans merci, au nom d’une pensée décoloniale, racisée, intersectionnelle ou transgenre.
Cet essai témoigne de la résistance de la raison face à des mouvements qui préfèrent s’en délester. Spécialiste de Kant, autrice d’une dizaine de livres, notamment sur la question du mal et sur l’infantilisation contemporaine, Susan Neiman a enseigné à Princeton, Yale et Tel-Aviv. Elle vit et travaille aujourd’hui en Allemagne. Dénonçant le mauvais procès fait aux Lumières, son livre rappelle – arguments à l’appui, textes en main – qu’il résulte de contresens, de lectures biaisées et d’ignorances massives. En fait, les trois idéaux fondateurs demeurent indispensables : sans eux, pas de gauche. Meilleure preuve : pour les disqualifier, leurs adversaires adoptent, parfois sans le savoir, des présupposés éminemment réactionnaires ou carrément fascistes : identité du sang, priorité du terroir, primauté du tragique.
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